Paris – Des pierres contre des machettes et des grenades. L’abbé du village rwandais de Kabarondo a raconté mardi aux assises de Paris la vaine résistance des réfugiés dans son église aux attaques des génocidaires lors de cette “terrible journée” du 13 avril 1994.
Comme beaucoup, l’abbé Oreste Incimatata pensait que l’église, lieu traditionnel de refuge lors de pogroms anti-tutsi au Rwanda depuis 1959, serait préservée. Il assiste, incrédule, à “l’extension des tueries” dans une commune où il n’y avait encore eu aucun massacre.
La soixantaine élégante dans un costume marine, l’ecclésiastique est conscient de l’importance de son témoignage, le premier sur le massacre de l’église, où des milliers de Tutsi mais aussi des Hutu avaient afflué les jours précédents.
Les images sont intactes dans sa mémoire: “les enfants qui tétaient leur mère morte”, les “grenades qui tombaient du toit”, “les cris des blessés”, les “survivants triés, pour séparer Tutsi et Hutu”.
Partie civile à ce procès, lui-même Tutsi, il se présente comme “une victime” des accusés, les deux anciens bourgmestres de Kabarondo, Octavien Ngenzi, à la tête de la commune en 1994, et Tito Barahira, son prédécesseur.
Dès le 7 avril, au lendemain de l’assassinat du président hutu Juvénal Habyarimana, il voit arriver les premiers réfugiés. “Le 8, ils étaient 50, le 9 au moins 100 sont arrivés, le 12 ils étaient 3.500”. “Les tueries commençaient à Bisenga, à Rubira”, des communes voisines de Kabarondo-centre.
Mais il est optimiste, a entendu dire que les gens du secteur voisin de Cyienzovu résistaient. Le 8, avec l’accord du bourgmestre Octavien Ngenzi, il se rend à l’évêché pour chercher des vivres. A l’église, les réfugiés sont apeurés, racontent comment, dans les communes voisines, “les Tutsi sont traqués, des chiens utilisés pour les débusquer”. Des rondes sont organisées autour de la paroisse.
Le 11, plusieurs responsables de Kabarondo réunis autour du bourgmestre “décident de ne pas soutenir les tueurs”. Mais le soir même, l’abbé apprend que Ngenzi, dont il n’a cessé de louer l’attitude jusqu’alors, a interdit les rondes. “Pour moi, c’est le jour où tout a changé”.
“Au Rwanda, on ne tue pas les gens sans ordre. Si les gens ont tué, c’est qu’ils ont été incités”, martèle l’abbé.
Le 13 avril, le génocide gagne Kabarondo. “C’était une journée terrible”, dit-il. “Les gens dormaient dans l’église. Tôt le matin, ils faisaient un nettoyage sommaire, puis on célébrait la messe à 7H00. Un conseiller communal est venu me dire qu’il fallait que les réfugiés se rendent à une réunion pour organiser l’auto-défense”.
Très vite, les hommes partis à la réunion reviennent en courant: “C’était un piège, on leur tirait dessus avec des flèches. La bataille a commencé à 8H00”. Elle durera toute la journée, avec plusieurs vagues d’attaque.
“Nous n’avions que des pierres et des briques, qui devaient servir à agrandir l’église. On était attaqué de toute part”, raconte un abbé “devenu un commandant de guerre”, courant sur tous les fronts pour organiser la défense de la paroisse, mettre les femmes et les enfants à l’abri.
Vers 10H00, il voit le véhicule du bourgmestre revenir. “C’est là que les gendarmes sont arrivés avec des fusils, ont commencé à tirer sur les gens”. Mais cela ne suffit pas à casser la résistance des milliers de réfugiés, désarmés mais plus nombreux. Alors ils “vont chercher des roquettes”.
Vers 17H00, les portes de l’église sont enfoncées. Les miliciens extrémistes Interahamwe prennent le relais des militaires, pillent tout ce qu’ils peuvent, tuent les survivants tutsi “à l’arme blanche”. Il pense qu'”au moins 2.000 personnes” ont été tuées.
Lui parvient à quitter l’église dans la nuit et s’en sortira en payant les tueurs qui l’arrêtent à une barrière, avec l’argent de la paroisse.
Ngenzi aurait-il pu fuir avec vous’, s’interroge la cour. “Ah non, il n’était pas Tutsi”.