Brasilia – Le Sénat brésilien a ouvert mercredi une session historique au cours de laquelle il devait écarter du pouvoir la présidente de gauche Dilma Rousseff, 68 ans, pour la soumettre à un procès en destitution.
Accusée par l’opposition de droite de maquillage des comptes publics, l’impopulaire présidente de gauche devait tomber avant la fin de son deuxième mandat, victime de ce qu’elle nomme un “coup d’Etat” institutionnel.
La justice a douché en début d’après-midi l’un des derniers espoirs de cette ancienne guérillera torturée sous la dictature militaire.
Un juge du Tribunal suprême a rejeté un recours présenté mardi soir demandant l’annulation de la procédure. La défense de la présidente mettait en cause les “abus de pouvoir” du président du Congrès des députés Eduardo Cunha, suspendu la semaine dernière de ses fonctions pour entrave à la justice.
La procédure de destitution a été approuvée le 17 avril par une écrasante majorité de députés et transmise au Sénat dont le vote devait intervenir dans la nuit.
L’opposition affirme disposer de la majorité simple requise pour suspendre Mme Rousseff de la présidence pendant un délai maximum de 180 jours et la soumettre à un procès en destitution.
Mme Rousseff sera probablement remplacée dès jeudi par son ancien allié devenu rival, le vice-président Michel Temer, 75 ans, dirigeant du grand parti centriste PMDB qui a claqué la porte de sa coalition fin mars.
Sur un total de 81 sénateurs, 78 étaient présents et le président du sénat a annoncé qu’il ne voterait pas. Quarante voix étaient donc requises pour dégager une majorité simple.
« Pas de miracle »
“Nous avons 20 voix, eux 50 environ (…). Il n’y a pas de miracle”, a reconnu le sénateur Paulo Paim, du Parti des travailleurs (PT, gauche) aux commandes du Brésil depuis 2003.
“Nous allons continuer à dénoncer le coup d’Etat et nous opposer à toute tentative d’éliminer les droits conquis par les pauvres de ce pays”, a déclaré à l’AFP Humberto Costa, un autre sénateur du PT fondé en 1980 par l’ex-président Lula (2003-2010).
Quelque 40 millions de Brésiliens sont sortis de la misère en 13 ans de gouvernements PT, grâce à des programmes sociaux en faveur des plus défavorisés et à un contexte économique longtemps favorable.
Chaque sénateur disposait de 15 minutes pour s’exprimer.
“Le grand jour est arrivé! Nous allons rendre son pays au peuple brésilien et le débarrasser du gang du PT”, a lancé le sénateur Ataïde Oliveira, membre de PSDB (centre-droit), le principal parti de l’opposition.
L’opposition accuse la présidente d’avoir commis un “crime de responsabilité” en maquillant sciemment les comptes publics pour dissimuler l’ampleur des déficits en 2014, année de sa réélection disputée, et en 2015.
Mme Rousseff, qui a promis mardi de lutter “par tous les moyens légaux et de combat” contre sa destitution, allègue que tous ses prédécesseurs ont eu recours à ces tours de passe-passe budgétaires sans avoir jamais été inquiétés.
Le vice-président Temer et ses alliés “n’arrivent pas à se faire élire à la présidence par le vote populaire. Ils utilisent le processus de destitution pour procéder à une élection indirecte dont le peuple est exclu”, avait-elle dénoncé mardi.
« Le pape concerné »
Lors de son audience hebdomadaire sur la place Saint-Pierre à Rome, le pape François a dit espérer que le Brésil, “en ces moments de difficultés, avance sur le sentier de l’harmonie et de la paix, avec l’aide de la prière et du dialogue”.
Des barrières métalliques ont été montées devant le Parlement à Brasilia pour séparer partisans et adversaires du gouvernement et 1.500 policiers ont été déployés.
Dans la capitale économique Sao Paulo, des manifestants pro-Rousseff ont dressé des barricades pour bloquer certaines rues.
Cette féroce bataille politique atteint son point culminant à trois mois de l’ouverture des jeux Olympiques de Rio de Janeiro, décrochés en 2007 par l’ex-président Lula da Silva, mentor politique de Mme Rousseff, en plein boom socio-économique.
Le géant émergent d’Amérique latine, septième économie mondiale, tangue aujourd’hui au milieu de la plus grave crise politique de sa jeune histoire démocratique.
Ce pays continent de 204 millions d’habitants est englué dans sa pire récession économique depuis des décennies : PIB en recul de 3,8% en 2015 et probablement autant en 2016, envolée de la dette, des déficits, du chômage, inflation proche des 10%.
Une grande partie de l’élite politique a été rattrapée par l’énorme scandale de corruption Petrobras, qui éclabousse de plein fouet le PT au pouvoir depuis 2003 et le PMDB de Michel Temer.
Crédit photo: Evaristo SA