Elles ont souvent de jeunes enfants dans les bras, et moyennant un peu plus d’un euro, acceptent de servir de passager(s) temporaire(s): à Jakarta, l’obligation de covoiturage aux heures de pointe, pour résorber les embouteillages monstres, aboutit à l’exploitation d’enfants.
La récente révélation par la presse locale de certains cas d’enfants qui ont même été drogués à cette fin a provoqué un scandale dans le pays, entraînant la suspension temporaire de ce système dont profitaient nombre de pauvres pour gagner un peu d’argent.
Depuis plusieurs décennies, les passagers du covoiturage – hommes, femmes et enfants appelés “jockeys” – s’alignent le long des embranchements menant aux grandes artères du centre de la capitale indonésienne, en attendant qu’un véhicule s’arrête pour les emmener.Car les voitures, quand elles veulent pénétrer dans certaines zones délimitées, doivent obligatoirement transporter trois personnes les jours de semaine aux heures de pointe.
Un conducteur seul doit ainsi trouver au moins deux passagers pour avoir le droit d’emprunter ces avenues. Et il n’a aucun mal à le faire: au bord de la route, les “jockeys” lèvent un doigt pour montrer qu’ils offrent un passager, ou deux s’ils voyagent avec un petit enfant dans une toile portée en bandoulière – souvent des mères de famille pauvres avec un enfant.
Une fois le conducteur arrivé à destination ou sorti de la zone de covoiturage obligatoire, les “jockeys” sortent et recommencent avec un autre véhicule. Une pratique astucieuse qui est de notoriété publique depuis des années.
– Choc et suspension provisoire -
C’est ce que fait Risma avec son fils de trois ans. Les enfants touchent la corde sensible et aident à attirer l’attention des conducteurs, raconte cette femme rencontrée sur une grande route dans le sud de Jakarta. “Les gens sympathisent facilement si vous avez un enfant”. Elle affirme avoir emmené avec elle son fils de trois ans car elle n’avait pas d’autre choix.
Mais le 5 avril, l’obligation du covoiturage obligatoire sur des artères de la ville au trafic congestionné a été suspendue pour la première fois depuis son entrée en vigueur en 1992: la révélation du scandale d’exploitation d’enfants dans ce cadre a provoqué un choc au sein de la population et conduit les autorités de la métropole de 10 millions d’habitants à prendre cette décision.
Si le covoiturage obligatoire n’a pas permis de fluidifier la circulation, le renoncement provisoire à cette obligation en guise de “test” a toutefois provoqué une nette augmentation des embouteillages en ville.
Les autorités comptent décider à la mi-avril de prolonger ou de lever la suspension.
– Drogués pour rester calmes -
Après un mois d’enquête, la police a interpellé fin mars quatre adultes soupçonnés de louer à des organisations criminelles des enfants pour mendier ou servir de “jockey” pour 200.000 roupies (13 euros) par jour, dans un pays où près de 40% des habitants vivent avec moins de deux euros par jour.
Trois enfants, âgés de sept ans, cinq ans, et six mois, ont été pris en charge par l’assistance sociale. L’un d’eux avait été drogué au Clonazepam, un puissant sédatif utilisé pour le traitement de l’anxiété chez l’adulte, a déclaré à l’AFP le responsable des enquêtes criminelles au sein de la police de Jakarta, Audie Latuheru.
Ce tranquillisant acheté sans ordonnance dans une pharmacie a été administré à l’enfant pour qu’il reste calme et accommodant pendant les longs moments d’attente sur le bas-côté de la route ou dans la voiture d’une personne étrangère, souligne Audie. Car “personne ne veut d’un enfant qui pleure dans la voiture…”
La police a également interpellé trois femmes soupçonnées de diriger une organisation criminelle qui vend des enfants voués à être exploités ensuite, selon le directeur adjoint de la police de Jakarta-Sud, Surawan.
Les travailleurs sociaux sur le terrain réclament que les personnes impliquées dans ces affaires soient inculpées de trafic d’êtres humains, tout en reconnaissant que les faits peuvent être difficiles à prouver.
Quant à la suspension du covoiturage obligatoire, les services sociaux et la police doutent qu’elle change quelque chose pour les enfants des rues en Indonésie. Ils sont au total 4,1 millions, dont 35.000 sont exploités, selon les statistiques officielles de ce pays d’Asie du Sud-Est de 250 millions d’habitants.
“Il n’y aura peut-être plus de jockeys, mais les criminels trouveront autre chose”, estime Surawan, fataliste.
Crédit photo: Gho Chai Hin