Raïssa Girondin est journaliste. Elle a vécu pendant 5 ans en Chine. Et elle fait partie de ces milliers de personnes qui ont réagi sur les réseaux sociaux, contre l’exposition « Voici l’Afrique », dans un musée en Chine. L’occasion donc de revenir sur cette exposition discriminante, mais surtout de mettre le doigt sur l’image que les chinois ont de l’Homme noir.
ALLSUD : Raïssa Girondin, vous êtes journaliste. Vous avez travaillé pendant plusieurs années en Chine. Vous avez présenté le journal Afrique sur la chaine de télévision CCTV, version francophone.
Raïssa Girondin : Avant d’être journaliste, je suis d’abord une femme, une fille et une sœur passionnée par la communication de tout ce que je touche. En partance de la région parisienne, j’ai atterri en Chine la toute première fois en 2012 en tant qu’enseignante à l’université mais c’est en 2013, que je suis devenue à l’âge de 27 ans, présentatrice du Journal de la chaîne de télévision CCTV, le média d’état chinois version francophone (désormais CGTN-Français). Je suis restée fidèle au poste 3 ans, en m’intéressant de plus près aux relations grandissantes entre la Chine et l’Afrique. En octobre 2016 j’ai été en charge de façon temporaire des relations publiques de la zone Afrique francophone de StarTimes, groupe audiovisuel privé chinois proposant des bouquets de chaînes de télévision par satellite. Je me suis occupée du lancement de cette marque au Congo Brazzaville et en Côte d’Ivoire. Une expérience singulière et à 360 degrés car j’ai pu être témoin de l’activité des Africains en Chine mais également des Chinois en Afrique.
AS : Nous vous avons vu réagir sur les réseaux sociaux concernant la fameuse exposition qui juxtaposait visages d’Africains et animaux, dans un musée en Chine. Pouvez-vous nous rappeler les faits ?
RG : J’ai découvert en ligne une pétition créée en France par Armelle Moutsinga sur Change.org, intitulée “NON, les Noirs ne sont pas des Animaux” comportant déjà près de 8000 signatures. Je n’étais pas au courant de cette exposition, donc ma première réaction a été, d’aller vérifier l’information en sollicitant mon réseau sur place en Chine. Il s’est avéré que l’information était réelle et que les étudiants africains là-bas, se sentant « humiliés et déshumanisés », cherchaient à s’organiser pour obtenir des explications de la part de ce musée.
Le 10 octobre, sur ma page Facebook je n’ai fait que transmettre les faits qui m’étaient parvenus de différentes sources:
– Cette exposition, intitulée “Voici l’Afrique”, se tenait dans le musée provincial du Hubei, dans la ville de Wuhan,
– Les premières fuites photos et vidéos ont commencé uniquement début octobre 2017 mais sur le site du FOCAC, on parle déjà de cette exposition depuis janvier 2016 avec une image à l’appui.
– Cette exposition a accueilli près de 140.000 visiteurs principalement des visiteurs chinois depuis le début du mois d’octobre, période faste car Golden Week (vacances chinoises). Les Africains ont été conviés tout récemment à cette exposition par le Musée et c’est là que le buzz a commencé sur la toile.
– En réalité, une seule section de cette exposition a posé problème: des clichés du photographe Yu Huiping, qui a mis côte à côte des portraits d’Africains et images d’animaux sauvages, les Africains mimant parfois ces derniers.
– Selon le site de la province du Hubei, Yu Huiping a fait partie d’une mission de plus de trente photographes chinois allés investiguer en Afrique durant trois ans. Ces clichés sont issus de son travail et de sa propre perspective.
– Des membres de la communauté africaine ont écrit au doyen des ambassadeurs africains en résidence en Chine pour leur faire part de cette exposition.
– Face au tollé sur les réseaux sociaux, la pétition ainsi que les ambassades africaines informées, les organisateurs de cette exposition ont retirés les clichés incriminés le 11 octobre.
– Ce même jour, le musée a tenté d’apporter une réponse face à des étudiants africains sans voix, en affirmant que le photographe “aime beaucoup” le continent et qu’il a simplement voulu « montrer l’harmonie entre l’homme et l’animal en Afrique ». Etant donné que l’exposition s’adressait à un public majoritairement chinois, le conservateur de l’exposition pense que « l’association entre humains et animaux n’est pas forcément négative » pour les Chinois, qu’elle réfère aussi « aux animaux zodiaques» donc pas discriminatoire, selon lui.
AS : Vous qui avez vécu en Chine, est-ce que c’est une exposition qui vous étonne venant de ce pays ?
RG : Oui cette exposition m’a surprise pour plusieurs raisons:
La communication par l’art ce n’est pas une démonstration, mais c’est un partage. Et lorsqu’on a conscience qu’un malentendu a pris place, une posture raisonnable consisterait à adopter une position ouverte pour instaurer le dialogue, dire que je me suis mal fait comprendre tout en essayant de comprendre l’autre. Si on avait dans cette exposition placé, à côté d’un animal sauvage, plusieurs hommes de toutes couleurs et origines confondues, cela paraîtrait pour moi presque progressiste. On aurait pu l’assimiler à un nouveau concept de théorie de l’évolution par exemple, ou même une nouvelle vision de la société mêlant nature et amitié entre les peuples. Cependant, cette exposition cible une seule couleur de peau.
Donc voilà, pour moi le souci c’est pas tant de mettre un animal sauvage à côté d’êtres humains, c’est plutôt le fait d’isoler un peuple, de nier sa place au genre humain en le bestialisant (mimiques), puis d’imposer cette vision de l’esprit au grand public chinois, ce qui peut devenir, qu’on le veuille ou non, de la propagande, et c’est cela qui est dangereux…ces images peuvent être perçues comme un détournement de l’art par un certain public. Je m’inquiète notamment de la répercussion de ces images sur les jeunes enfants chinois, qui peut-être dans le futur feront une association image-idée. C’est Confucius qui disait « une image vaut mieux que mille mots» n’est-ce pas ?
La Chine fait énormément d’efforts pour dire et démontrer qu’ils ne sont pas de nouveaux colonisateurs sur le continent africain. Elle est intelligente dans sa manière d’absorber ce qu’a fait l’Occident, pour le mettre en lumière et le dénoncer. Mais avec ce genre d’affaire qui éclate, ça risque de ne pas aider son image à l’extérieur. Il faut tout de même rappeler que c’est un fait isolé : le photographe ne représente pas l’intégralité du peuple chinois, mais c’est désolant car il a fait apparaître aux yeux du monde tout un pays comme ignorant sur la question de la discrimination raciale.
AS : Comment les Chinois perçoivent-ils l’Afrique et les Africains ?
RG : Une question très intéressante à laquelle je ne peux pas prétendre répondre, même après presque 5 ans passés en Chine, je n’ai pas eu le temps de tous les rencontrer, rires !
Je trouve que les Chinois mettent à la disposition des Africains beaucoup de matière : une bonne communication sur sa culture, ses us et coutumes, des bourses scolaires offertes à des étudiants avec pour résultats une Afrique un peu mieux informée sur la Chine.
J’ai eu par contre le sentiment que l’inverse est moins vrai. Les Chinois se documentent sur le continent africain à travers ce qui est mis à leur disposition et ce qu’ils trouvent : une histoire, des news, des films et des images, très souvent en provenance de l’Europe ou des Etats-Unis… J’ai eu l’impression que pour certains Chinois, l’Afrique c’est un bloc, parfois considéré comme un seul et même pays. Pour qu’ils puissent saisir la diversité de l’Afrique, c’est un travail de fond qu’il faut effectuer ; les Africains doivent donc être maîtres de leur propre communication.
AS : Ce n’est pas la première fois que ce pays est accusé de racisme contre les noirs. L’avez-vous vécu vous-même ?
RG : Me concernant, lorsque j’ai débarqué en Chine, j’ai clairement pu constater, dès l’aéroport, que certains chinois n’avaient jamais vu de Noirs de leur vie. Même dans une grande ville comme Beijing ou Tianjin, quand je marchais dans la rue, très peu d’indifférence et souvent des extrêmes : soit les gens avaient peur de moi, soit ils faisaient tout pour me toucher ou demander de poser sur une photo. Et souvent, je partageais un simple sourire pour rassurer les petits comme les grands.
J’ai trouvé ce pays très accueillant de prime abord : je suis curieuse et me suis retrouvée en face de gens tout aussi curieux que moi, qui veulent en savoir plus sur d’autres peuples. Ma couleur de peau n’a pas été un obstacle, bien au contraire, je pense qu’elle m’a beaucoup servi, surtout quand je suis arrivée dans les studios de la CCTV.
Lorsqu’on me demandait d’où je viens, je disais que je suis de nationalité française, de parents antillais, africaine de cœur. Dans 95% la réaction c’était, « non ce n’est pas possible, tu n’es pas française». Puis je leur parlais de la Guadeloupe, ils en avaient pour la majorité jamais entendu parler et je prenais plaisir à leur montrer sur une carte ainsi que notre cheminement depuis l’Afrique. Un jour un jeune chinois m’a dit « ah oui, je comprends tout, tu vis dans les Caraïbes, je peux le voir grâce à tes cheveux (je porte des dreadlocks), tu es comme une pirate, une pirate des Caraïbes » référence à Jack Sparrow. On a explosé de rire tous les deux.
J’ai dû déconstruire tous les stéréotypes que j’avais en tête sur les Chinois, en quelque sorte apprendre à désapprendre des choses que j’avais vu dans les médias depuis ma tendre enfance en France, pour pouvoir prendre de la hauteur et tenter, tant bien que mal, d’être un peu plus objective chaque jour. Cependant, au cours de ma carrière en tant que professeur à l’Université, présentatrice TV ou dans les relations publiques, j’ai eu à rencontrer des Chinois très surpris (certains gênés) de mon français « sans accent » ; j’ai souvent entendu dire que j’étais quand même belle pour une noire ; ou même pendant la crise Ebola en Afrique, j’ai fait face à beaucoup d’amalgames surtout pour pouvoir monter à bord de taxis dans la capitale…
Bref, j’ai pris certaines remarques avec beaucoup d’humour, quelquefois de la colère, mais c’est quand même très révélateur de l’état d’esprit d’une certaine tranche de la population. Donc oui j’ai connu des discriminations, mais elles n’étaient pas toujours faciles à identifier, car on ne vous dit jamais que c’est parce que vous êtes noir.
AS : Comment expliquez-vous qu’aucun chef d’Etat du continent n’ait réagi à cette exposition ?
RG : Certainement parce que les ambassadeurs africains en résidence en Chine ont pris le relais sur ce dossier…que des mesures ont déjà été prises permettant le retrait immédiat de ces photos.
AS : Aujourd’hui, où en est cette exposition ?
RG : Tout d’abord, cette affaire a mis en avant une chose : grâce à la magie des réseaux sociaux, ces clichés ont pu être relayés en masse et permis à toute une communauté de se mobiliser pour défendre une cause commune. L’objectif a été atteint, le retrait des clichés, même si certains sont en attente d’excuses publiques.
Personnellement, je plaide pour une meilleure communication interculturelle et une plus grande ouverture d’esprit entre les deux parties. Si ça doit passer par une formation extensive, sur comment communiquer sur certaines thématiques africaines, pourquoi pas ! Mais ça doit être une responsabilité partagée. Une réponse intéressante serait par exemple de proposer à ce musée à Wuhan, une exposition faite par des talents africains sur leur vision du continent ou même sur les relations sino-africaines et d’ouvrir le débat à travers une conférence.
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