Les funérailles grandioses du roi de Thaïlande ont marqué jeudi la fin d’un deuil d’un an décrété depuis la mort de celui qui avait un statut de demi-dieu, savamment entretenu par une junte militaire et un nouveau roi soucieux de tenir les rênes du pays.
L’urne de bois précieux dans lequel les corps des rois sont traditionnellement conservés a ensuite été transportée, sur un palanquin doré, du palais vers le crématorium grandiose construit pour l’occasion.
Le roi Maha Vajiralongkorn devait le suivre, à pied, au milieu d’une myriade de militaires en uniformes traditionnels multicolores.
Le cercueil du roi, qui n’avait pas voulu se plier à la coutume de l’urne, a été discrètement déplacé dans la nuit dans la tour centrale du crématorium doré.
Unis dans le deuil ?
Le bûcher doit être allumé par le roi Maha Vajiralongkorn à 22h00 locales (15h00 GMT).
Jeudi matin, plus de 200.000 Thaïlandais étaient massés, selon les autorités, le long du tracé du convoi funéraire.
Il est difficile d’évaluer la popularité de la royauté thaïlandaise, protégée par une loi de lèse-majesté très stricte ayant pour conséquence une très forte autocensure.
Mais pour les nombreux Thaïlandais massés dans l’attente du convoi, après avoir passé la nuit dans la rue pour nombre d’entre eux, le roi Bhumibol était le Père de la Nation. Son anniversaire était aussi la fête des pères.
“Il était parfait. Il a tant fait pour le pays et le peuple de Thaïlande. Soixante-dix millions de Thaïlandais sont unis dans leur amour pour lui”, a assuré à l’AFP, dans la foule, Wacharadej Tangboonlabkun, 65 ans, brandissant un portrait du roi.
Comme la plupart des Thaïlandais, il n’a vécu que sous le roi Bhumibol, qui détenait le record mondial du plus long règne, ayant passé plus de 70 ans sur le trône.
Son statut de demi-dieu a été cultivé depuis des décennies de culte de la personnalité le présentant comme le garant de la stabilité d’un pays marqué par de profondes divisions politiques, entre ultra-royalistes et réformateurs.
Pour ses funérailles, ni la junte aux manettes du gouvernement ni la monarchie, une des plus riches au monde, n’ont mégoté sur les dépenses: la cérémonie et la construction du site de la crémation est estimée à 90 millions de dollars (plus de 76 millions d’euros).
Les meilleurs artisans du pays ont travaillé pendant des mois pour construire le site de la crémation, sculptant des créatures des mythologies hindoues ou bouddhistes: au total, plus de 500 de ces créatures et animaux entourent le site, censé représenté le mont Meru, passage entre le monde des vivants et des morts pour les bouddhistes.
Parmi les représentants de familles royales du monde entier présents: la reine Maxima des Pays-Bas, ainsi que la reine Sofia d’Espagne et la reine Mathilde de Belgique.
Une chemise rouge provocatrice
En bonne place dans le cortège devait marcher le chef de la junte, le général Prayut Chan-O-Cha, auteur du coup d’Etat de mai 2014, réalisé au nom de la défense de la monarchie, à une époque où l’état de santé du roi Bhumibol s’était déjà dégradé.
Toutes les questions demeurent quant à l’orientation que donnera Maha Vajiralongkorn à l’institution royale, protégée par une loi de lèse-majesté très stricte qui punit de lourdes peines de prison tout détracteur de l’institution.
“La crémation représente la fin d’une histoire bien organisée” par les élites royalistes, analyse l’historien David Streckfuss, spécialiste de la monarchie thaïlandaise interrogé par l’AFP.
“Les militaires sont arrivés au pouvoir en 2014 en se proclamant les protecteurs de la monarchie. Ce n’est donc pas une surprise qu’ils s’assurent que tout le monde soit bien respectueux” du deuil imposé depuis un an, souligne-t-il.
La plupart des magasins devaient fermer jeudi après-midi, et le jour a été déclaré férié.
Le seul activiste ayant osé envisager une provocation (mettre une chemise rouge, symbole de l’opposition, quand tout le monde est habillé en noir depuis un an) a été exfiltré hors de Bangkok le temps des funérailles, ont dénoncé ses avocats.