L’ancien vice-président du Zimbabwe Emmerson Mnangagwa se préparait mercredi à rentrer en héros à Harare au lendemain de la démission historique de Robert Mugabe, dont il doit prendre dans deux jours la délicate succession à la tête du pays.
La liesse qui a enterré les trente-sept ans de l’ère Mugabe à peine retombée, son successeur était attendu dans l’après-midi dans une base militaire proche de la capitale, où des centaines de personnes se sont pressées dès la matinée pour l’acclamer.
Il prendra dès vendredi les rênes du pays, a annoncé le président de l’Assemblée nationale Jacob Mudenda, selon le scénario écrit par le parti au pouvoir, la Zanu-PF.
“Le camarade Emmerson Dambudzo Mnangagwa avait été nommé candidat de la Zanu-PF pour occuper la fonction de président de la République du Zimbabwe dans l’éventualité d’une démission ou d’une destitution du camarade Robert Gabriel Mugabe”, a expliqué M. Mudenda devant la presse.
Le “crocodile”, ainsi qu’il est surnommé pour son caractère inflexible, tient sa revanche.
Pourtant un fidèle de l’ancien président et de son régime, ce héros de la guerre d’indépendance, plusieurs fois ministre, avait été sèchement remercié le 6 novembre dernier, sur injonction de la Première dame Grace Mugabe à qui il barrait la route de la succession de son nonagénaire de mari.
Son éviction a provoqué dans la nuit du 14 au 15 novembre un coup de force de l’armée, catégoriquement opposée à l’arrivée au pouvoir de l’incontrôlable Grace.
Après avoir résisté plusieurs jours, Robert Mugabe a finalement rendu les armes mardi soir en démissionnant, lâché par ses militaires, son parti et la rue.
Des emplois
“Ma décision de démissionner est volontaire. Elle est motivée par ma préoccupation pour le bien-être du peuple du Zimbabwe et mon souhait de permettre une transition en douceur, pacifique et non violente”, a écrit M. Mugabe dans sa lettre de démission.
Quelques heures après les manifestations euphoriques qui ont salué son départ, la population du pays restait pleine d’espoir.
“Ce que je désire ardemment, c’est que le camarade Mnangagwa, notre père, crée des emplois”, a souhaité Munyaradzi Zovemhunu, 34 ans, en attendant le retour du futur président.
“Nous avons accroché nos diplômes aux murs depuis si longtemps”, a poursuivi le vendeur de fleurs. “Alors s’il vous plaît, libérez-nous. Nous avons été maltraités depuis bien trop longtemps. Il faut que ça s’arrête, maintenant”.
De nombreux Zimbabwéens attendent de M. Mnangagwa qu’il redresse une économie rendue exsangue par les réformes dévastatrices conduites par son prédécesseur. L’activité tourne au ralenti, l’argent manque, le chômage touche 90% de la population et le spectre de l’hyperinflation rôde à nouveau.
Certains ne partagent pas l’euphorie des dernières heures et redoutent même qu’elle ne tourne à la gueule de bois.
“C’est un soulagement” que Mugabe ne soit plus là “mais il ne faut pas trop s’emballer pour le nouveau”, souligne Patrick Moyo, un banquier de 38 ans, “n’oublions pas qu’il n’est pas très propre”.
“On ne veut pas remplacer un dictateur par un autre dictateur”, a résumé un autre habitant de Harare, Oscar Muponda.
Abus du passé
Pilier de l’appareil sécuritaire zimbabwéen depuis quatre décennies, le bilan d’Emmerson Mnangagwa en matière de droits de l’Homme n’est pas exemplaire, ont rappelé les ONG. A plusieurs reprises, il s’est signalé comme le fidèle exécuteur des basses besognes de Robert Mugabe.
“Des dizaines de milliers de personnes ont été torturées, ont disparu ou ont été tuées” sous l’ère Mugabe, a insisté Amnesty International, appelant le pays à “renoncer aux abus du passé”.
Aucun détail des négociations qui ont abouti à la chute de Robert Mugabe n’a filtré mercredi dans la presse locale, qui s’est contentée de saluer son départ à grand coup de titres chocs tels que “Adios Bob” ou “Adieu camarade président”.
Exil dans un pays voisin “ami” ou retraite dorée au Zimbabwe ? Le sort de l’ex-couple présidentiel restait entouré d’un épais mystère.
Le départ en douceur de Robert Mugabe, dernier dirigeant issu des guerres anticoloniales, a été salué dans les pays africains, où il disposait toujours de son aura de “libérateur”.
L’Union africaine (UA) s’est félicitée de sa décision de “démissionner après une vie consacrée au service de la nation zimbabwéenne”, “l’acte d’un véritable homme d’Etat, qui ne peut que renforcer (son) héritage politique”.
Important partenaire politique et commercial du pays, la Chine a rendu hommage à un “ami” qui “apporté une contribution historique à l’indépendance du Zimbabwe”.